Bonjour à tous. Je m’appelle Connor Fallon, et j’ai travaillé en tant que concepteur de scénario en chef pour Guild Wars 2: End of Dragons™. On a tous été ravis de découvrir vos réactions en jouant à la campagne. Nous avons mis tant d’amour et d’efforts dans la création d’un scénario satisfaisant, qui représente l’aboutissement de multiples années d’histoire de Guild Wars 2… Et on dirait que les joueurs l’ont beaucoup apprécié ! Après avoir consacré des années à travailler dessus, cela représente encore plus que vous ne pourriez imaginer. Je voudrais tous vous remercier d’avoir choisi de passer du temps en Tyrie.
Nous nous sommes dit qu’il serait intéressant de partager avec vous quelques aperçus détaillés des processus de réflexion qui ont mené à nos choix, et j’ai décidé de commencer par l’un des éléments qui me semble parmi les plus importants.
LA SUITE DE L’ARTICLE CONTIENT DES SPOILERS : je vais partir du principe que vous avez terminé l’histoire de Guild Wars 2: End of Dragons.
L’arrivée des Étherlames
Rapidement pendant notre réflexion sur l’extension, nous avons décidé d’amener en Cantha une ancienne faction pour relier notre scénario au monde global de Guild Wars 2, et pour mieux diversifier les ennemis face aux Humains et aux Tengus. Nous avons envisagé plusieurs possibilités, depuis l’Enqueste (on ne pourra jamais s’en débarrasser) jusqu’à des fugitifs de la Légion du Givre, mais une autre faction a vite pris le dessus : les Étherlames.
Pour être franc, la première chose qui nous a traversé l’esprit concernant les Étherlames, ce n’était pas leur potentiel à amener une histoire subtile ou une réponse à un grand problème dans l’univers du jeu. C’était plutôt la possibilité de commencer l’extension avec une séquence explosive. Dans Guild Wars 2, vous et le Pacte avez à plusieurs reprises déployé des aéronefs pour affronter des dragons ancestraux ; et si, cette fois, vous affrontiez une armée d’aéronefs avec l’aide d’un dragon ancestral ? Nous autres, férus de scénario, nous adorons créer des références thématiques et des progressions de personnage, mais parfois, il ne faut pas hésiter à avoir recours à de super explosions !
Cette séquence est l’une des premières qui ont été prototypées pour l’extension. On a placé un tas de modèles existants d’aéronefs dans le ciel, et on a fait en sorte que le joueur bondisse d’aéronef en aéronef, en les déplaçant de manière dynamique pour voir jusqu’où on pouvait étendre notre technologie de plateforme mouvante, qui s’est amélioré au fil des années. (La réponse était « assez loin », et on a beaucoup exploité cette technologie dans cette extension.) C’était vraiment amusant, et une grande partie de ce prototype figure encore dans la version finale de l’extension.
Mais même si cette scène complètement dingue était cool, le fait d’avoir choisi les Étherlames avait beaucoup d’autres utilités. Pendant qu’on explorait davantage les raisons d’utiliser cette faction, des éléments venaient constamment se mettre en place pour former un récit engageant qui tire ses racines dans toute l’histoire de Guild Wars 2 : un récit qui pouvait renforcer l’intégralité de Guild Wars 2: End of Dragons.
Les liens avec les Brumes
La dernière apparition des Étherlames date d’il y a LONGTEMPS, lors de la saison 1 du Monde vivant, alors qu’ils s’enfuyaient dans les Brumes après avoir mené avec succès l’attaque de Scarlet sur l’Arche du Lion. Un certain nombre d’histoires fascinantes a eu lieu dans les Brumes depuis lors. Rytlock en est revenu, doté de nouveaux pouvoirs et accompagné par l’esprit de Brill. Kralkatorrik s’y est frayé un chemin grâce à de la magie divine et a commencé à dévorer tout ce qu’il y trouvait. Et bien sûr, il y a les Fractales des Brumes, qui ont leur propre univers sinueux. (Intéressez-vous à l’arc… d’Arkk !) Toutes ces histoires nous ont fourni des graines de récits intéressantes pour combler les brèches.
Ces histoires indiquent clairement que personne ne pourrait rester longtemps dans les Brumes sans s’en trouver changé. Même en faisant du carnage semé par Kralkatorrik le moment où les Étherlames ont pu sortir des Brumes (en perdant un aéronef en Elona par la même occasion), cela voulait dire qu’ils y sont restés pendant des années de plus que n’importe quel personnage principal. En prenant aussi en compte le fait que les fractales en jeu (souvent des échos des Étherlames eux-mêmes) constituent pour eux un endroit parfait pour récupérer les ressources nécessaires à la reconstruction… il était logique que cette expérience les perturbe légèrement.
Pour leur retour, nous avons essayé de refléter cela dans tous leurs aspects. Nous avons créé de nouveaux modèles d’aéronefs qui donnent l’impression que les Étherlames ont ajouté des pièces à des vaisseaux qu’ils ont trouvés, car c’est précisément ce qu’ils ont fait. Nous avons ajouté de nouvelles unités à leur armée : les ferrailleurs, qui bricolent avec tout ce qui leur passe sous la main, et les revenants, qui canalisent les échos de leurs camarades défunts. Et nous leur avons tous ajouté un effet très subtil des Brumes… un petit quelque chose de l’Étranger des Brumes, si vous préférez. Un petit bonus d’éther pour nos Étherlames.
Nous avons également repensé leur apparence en général, afin de représenter leur évolution au fil des années. Nous avons préservé les emblématiques éléments mécaniques, mais une grande partie des pièces d’armures plus « aristocratiques » ont été remplacées par des tenues plus fragmentées ou militaires. Nous avons donc pu profiter des nouveaux ensembles d’armure que nous avons développés depuis la dernière apparition des Étherlames – en particulier l’armure du chef de guerre, du JcJ et du McM. Après tout, peut-être qu’ils ont aussi joué à ces modes !
Et bien sûr, même si tous les Étherlames ont changé, certains de nos personnages clés ont encore davantage évolué.
Ankka. Ank-ka.
À un certain moment, avant Guild Wars 2: End of Dragons, quelqu’un a dit à mon complice Kwan Perng, le responsable narratif (autrement appelé scénariste en chef) du projet, que les Asuras sont trop « ridicules » pour être des méchants intimidants. Eh bien, Kwan a pris ça comme un défi. Dès le début de l’extension, il a voulu que l’antagoniste soit un « Asura qui donne la chair de poule ».
Nous avions un objectif clair et philosophique pour ce personnage : puisque Joon était là pour représenter l’effort le mieux accompli d’exploiter la magie draconique, nous voulions avoir une contre-force. Nous voulions avoir un personnage accélérationniste, qui en aurait assez de tous ces efforts pour contrôler et retarder l’inévitable. En se basant sur cette idée, Chelsey Shuder, directrice des cinématiques, a dessiné ce « concept art ».
La version finale du personnage est… assez différente.
Naturellement, nous devions nous demander « Pourquoi quelqu’un finirait-il par avoir cette approche des choses ? ». Nous voulions éviter d’avoir un personnage qui croit quelque chose, juste parce que ça nous arrangeait d’un point de vue narratif : nous voulions que ça soit naturel. Heureusement, notre histoire déborde d’exemples de tentatives ratées de corriger le monde, et il nous a suffi de donner du contexte pour créer des liens naturels vers encore plus d’éléments de l’histoire de Guild Wars 2.
En commençant sa carrière à Thaumanova, puis en travaillant pour Scarlet, en assistant au carnage de Kralk (que nous avons causé) pour finir par arriver à Cantha, Ankka a mené une vie remplie d’exemples de gens qui ont essayé de modifier le cours de l’univers, sans réussir. Elle est devenue un lien entre le début de Guild Wars 2 et le présent. Dans ce contexte, lorsqu’Ankka considère Soo-Won et l’impact majeur qu’elle a eu sur le monde, occupée à manigancer pour empêcher la fin… qui pourrait-elle voir d’autre, qu’une personne de plus qui se mêle de tout ?
Bien sûr, tout cela est influencé par le fait qu’elle a été obligée de tuer ses échos de nombreuses fois dans les Brumes. Oh, et aussi par le fait qu’elle a manipulé de la magie de Zhaïtan. Eurk.
Ankka n’est peut-être pas le « dernier obstacle » de Guild Wars 2: End of Dragons, mais elle représente l’instigatrice de tout ce qui se produit au cours de l’histoire. Elle est devenue l’un de mes méchants préférés du jeu, et l’excellente performance de Sarah Sokolovic a confirmé cela. Félicitations, Kwan. Tu as réussi à créer une Asura qui donne la chair de poule.
L’apparition de Mai Trin
Au cours de l’arc narratif de Kralkatorrik en 2018, le concepteur Jonathan Blunden a élaboré un prototype de projet secondaire : un combat unique pendant lequel le Commandant se rend dans les Brumes pour arrêter les Étherlames qui cherchent à échapper au carnage du dragon ancestral. Ce combat présentait même un détail intéressant : Mai Trin était devenue une revenante canalisant Scarlet ! Mais ses super attaques de la saison 1 n’étaient pas suffisantes pour arrêter le Commandant : vous la battiez, la capturiez, et voilà comment l’histoire des Étherlames prenait fin.
Cette idée présentait beaucoup d’aspects cool, mais c’était un peu trop hors sujet pour une histoire secondaire, alors elle n’a pas vu le jour. L’équipe s’est tournée de la saison 4 à l’Épopée du givre, et le monde a continué.
Passons à deux ans plus tard. Nous organisions alors la progression narrative de Guild Wars 2: End of Dragons et nous penchions vers les Étherlames comme faction centrale. Quelqu’un a mentionné l’existence de ce prototype. J’y ai jeté un œil, et j’ai craqué sur l’idée de Mai Trin en revenante. D’une part, parce que c’est super cool, mais surtout parce que ça renforçait tout ce qu’on voulait faire de son personnage. J’ai même bidouillé d’excellents concept arts pour convaincre les gens lors de la présentation initiale :
Nous savions déjà que l’histoire de Mai Trin allait être celle d’une personne qui cherche à échapper à son passé. Elle a vécu des années dans les Brumes, à revivre constamment ses erreurs, alors dès que l’opportunité de se réinventer s’est présentée grâce à Joon, elle en a profité. Pendant des années, elle a vécu dans un lieu où personne ne savait ce qu’elle avait fait ; au lieu de faire face à sa nature, elle l’a ignorée. Mais évidemment, son passé l’a rattrapée, sous la forme d’un Commandant furieux et d’un dragon ancestral.
Si on prend en compte le fait que, dans les Brumes, elle est devenue une revenante de Scarlet, sa lutte contre son passé n’est plus un simple conflit intérieur, mais aussi quelque chose qu’on peut manifester dans l’univers et les mécaniques. Comme Marjory le fait remarquer à un moment de l’histoire, Joon et Scarlet ont beaucoup de points communs : Mai Trin a clairement tendance à se lier aux personnes qui conçoivent des inventions propres à bouleverser le monde. Mais là où Joon fait ressortir ce qu’il y a de mieux chez Mai Trin, Scarlet fait ressortir ce qu’il y a de pire. Il est parfaitement logique que Mai en appelle à son « ex-cheffe et source d’inspiration », Scarlet, quand elle est au fond du gouffre, lorsque son équipage l’a abandonnée et que sa nouvelle mentor l’a rejetée.
Nous craignions que Scarlet ne vienne faire de l’ombre à l’histoire si elle apparaissait d’une manière ou d’une autre, nous devions donc être prudents : l’histoire était à propos de Mai Trin et de ses relations avec son passé, pas à propos de Scarlet. Je pense qu’on a plutôt bien réussi à gérer cela. Le moment où, à la fin de l’acte 1, Mai Trin perd le contrôle de Scarlet, est l’un de mes moments préférés de l’histoire : c’est la rencontre merveilleuse entre la conception de personnage, de l’univers et du combat.
On ne peut pas faire confiance à un pirate
Nous avions donc un bon tremplin pour Mai, et une bonne raison pour laquelle elle voudrait s’allier à nous : elle voulait faire de son mieux pour protéger sa nouvelle vie après la trahison d’Ankka. Tout cela a été bien reçu, dès les premières versions du scénario. Mais voilà où nous avons eu des difficultés, je l’avoue : comment les autres personnages devaient-ils traiter Mai ?
Dans notre première version du script, les personnages reconnaissaient à contrecœur qu’ils avaient besoin de Mai Trin pour traquer Ankka. Si Jory n’était pas chaleureuse avec Mai dans cette version, elles discutaient tout de même ensemble. Les personnages faisaient globalement confiance à Mai, car elle avait clairement subi beaucoup de choses depuis sa dernière apparition.
Mais nos premiers tests du jeu ont vite montré que l’objectif n’était pas atteint. Peu importe qui elle était pour Joon, pour le peuple canthien, et peu importe la manière dont son histoire s’était déroulée dans nos esprits, pour beaucoup de joueurs qui sont là depuis longtemps, elle n’était pas simplement une pirate : c’était une terroriste. Et contrairement à notre autre personnage passé de terroriste à ami puis à profiteur, Canach, nous n’avons pas assisté à son développement pendant les huit dernières années.
Nous avons donc réécrit et réenregistré la majorité des scènes concernant Mai Trin pour régler ce problème. Du fait de leur passé commun, il était naturel que Jory soit celle qui allait tenir Mai pour responsable : en lui prenant ses armes, en la surveillant et en lui rappelant le passé qu’elle avait cherché à enterrer. Lorsque nous avons fait ces modifications, nous savions que certains joueurs tomberaient de l’autre côté et trouveraient que Jory est trop sévère, mais au bout du compte, cette méfiance était plus fidèle aux personnages et à l’histoire.
Oh, Mai…
La première réaction face à Mai nous a aussi montré que nous devions davantage ancrer sa personnalité dans le présent. Après tout, l’intégralité de l’histoire à propos de sa lutte contre son passé ne fonctionne réellement que si le contraste avec le passé est clairement établi. Il n’y avait qu’un problème.
Voici un fait immuable de toute production de jeu : les cinématiques doivent être validées tôt. Pour des raisons de logistique, la cinématique des adieux maritimes de Mai Trin était l’une des premières à être faites. Compte tenu de l’excellent rendu, c’était un moment assez fixe de notre scénario. Mais ça signifiait que nous n’avions que le temps passé à Néo-Kaineng pour nous occuper de son personnage, et la majorité de ce temps était pris par l’enquête sur le dysfonctionnement de l’énergie de jade. Comment pouvions-nous établir ce qu’il nous fallait pendant le peu de temps dont nous disposions ?
C’est Matthew Medina qui a eu un coup de génie : la visite de son appartement pendant notre section en monde ouvert. Au lieu de seulement en parler, ça nous permettait de montrer la tranche de vie qu’elle avait construite au cours des années : un peu désordonnée mais à laquelle on peut d’identifier, et remplie de chats portant les noms des membres d’équipage défunts. Horrik le chat a une moustache incroyable ! S’il y a bien une chose que j’ai apprise au cours des derniers mois, c’est que nos joueurs adorent les chats numériques.
*raclement de gorge* …Bref.
Compte tenu de la réponse des joueurs, on dirait que notre dernière version de Mai Trin a plu a beaucoup de personnes, même en un laps de temps aussi limité. Mais s’est-elle rachetée en se sacrifiant, à la fin ? Nous sommes ravis de laisser les joueurs débattre de cette question : même en interne, nous avons eu des débats sur le sujet ! Nous avons veillé à ce que nos personnages n’aient pas d’avis général sur Mai Trin au bout du compte.
Elle n’a pas pu échapper à son passé. Ça devait forcément finir par la rattraper, il le fallait. Mais elle a fait au mieux avec ce dont elle disposait. Ça ne suffit peut-être pas, mais c’est déjà ça.
(Petite parenthèse : Kelly Hu donne sa voix à Mai Trin et à Soo-Won, et elle a très bien réussi à rendre les deux personnages distincts. J’ai plusieurs fois dit que Kelly était « tellement sympa qu’on l’a tuée deux fois ».)
Ivan vient aussi
Impossible de terminer cet article concernant les Étherlames sans mentionner notre taupe humanoïde préférée.
Ivan a fait ses débuts comme un personnage mineur mais amusant. Nous voulions diversifier les Étherlames, et même si les Quaggans et les Skritts auraient pu être des options amusantes, notre choix s’est porté sur les Draguerres. Je joue principalement en tant qu’holographiste, j’avais donc envie que le combat soit contre cette spécialisation d’élite, surtout compte tenu du fait que les Étherlames ont toujours eu tendance à utiliser des hologrammes. Ivan est né de ces deux éléments. C’était un mini-boss sympa, mais sans plus.
Mais tout a changé avec la manière dont Alex Kain, scénariste en chef et concepteur narratif, a écrit le contenu sur le combat et la défaite d’Ivan. C’est lui qui a eu l’idée de la « chasse aux clés », qui a permis d’ajouter beaucoup de caractère au Draguerre. En retour, ce caractère nous a donné envie de nous servir davantage d’Ivan. Son rôle s’est donc étoffé. Ivan est devenu le personnage qui continue l’héritage de Mai Trin, c’est lui qui fait son deuil et qui termine sa mission.
Ivan est un excellent exemple de la manière dont, lorsqu’on travaille sur un long scénario comme une extension, des éléments peuvent parfois faire surface et se trouver inclus dans le reste de l’histoire. Sincèrement, Ivan est un de mes aspects préférés de l’extension.
Pour conclure
Je dis souvent que travailler sur un grand jeu vivant comme Guild Wars 2, c’est similaire à travailler dans un grand univers de comics. Plein de personnes ont élaboré plein d’histoires, parfois sous la direction de différents éditeurs ayant différentes grandes idées. C’est un mélange savant de planification et d’improvisation : chaque élément du monde constitue une histoire qui est chère à quelqu’un, ce sont tous des fils qu’on peut à nouveau utiliser. Parfois, ça peut prendre un bon moment.
Dans le cas des Étherlames, le temps a permis aux idées les entourant de mûrir en accord avec les autres histoires du monde. Leur intégration à Guild Wars 2: End of Dragons a mis en jeu toutes ces histoires dans notre extension, ce qui a bonifié le tout.
Alors que le monde de Guild Wars 2 s’élance vers de nouveaux horizons, je suis impatient de découvrir où les voyages à venir nous emmèneront. Il reste encore tellement de fils, aussi bien nouveaux qu’anciens, à entretisser pour en produire des récits pertinents.