Lors de la MomoCon de cette année, Leah Hoyer, responsable de la narration, et Ross Beeley, concepteur narratif, ont présenté les éléments clés de la conception narrative de Guild Wars 2. Avec l’aide du public, ils ont créé le concept original pour un nouveau personnage, Vikki, qui part en voyage pour sauver son moa, Momo. Qui sait quelles aventures les attendent ?
« L’Ile pleureuse. » Le sentier s’ouvrait devant moi, mais j’hésitais. La perspective de quitter la grande route n’avait rien d’encourageant. « Quel horrible nom. »
« Squork, » répondit Momo en s’ébouriffant les plumes. Distraite par les méduses qui décrivaient des boucles sinueuses entre les filets de pêche et les algues, elle ne semblait pas aussi inquiète que moi à l’idée d’approcher du fief des Silencieux. Mais il nous fallait des indications et des provisions, et je préférais éviter le Marché de Mabon (et les chercheurs asuras qui s’y trouvaient) si j’en avais la possibilité.
L’Ile pleureuse était semblable aux autres villages sylvaris que nous avions rencontrés dans la Forêt de Caledon, à ceci près qu’elle était soumise aux caprices du vent et des eaux. Un carillon, fait de coquillages plats et de roseaux, pendait à une porte et cliquetait dans la brise tiède. Le ciel était dégagé et les vagues calmes. Cet endroit ne donnait pas du tout envie de pleurer ; il donnait plutôt envie de faire la sieste. Mais à y regarder de plus près, les larges feuilles de la maison la plus proche montraient de profondes entailles au niveau des pétioles, comme si quelqu’un s’y était attaqué à la hachette. Le chemin menant à la petite île était marqué de nombreuses empreintes de pas désordonnées. Et tout était très, très calme.
Mes connaissances à propos des Silencieux me venaient presque toutes de sources indirectes, et elles étaient plutôt négatives. Ils avaient abattu la flotte du Pacte dans la Jungle de Maguuma, d’après certains. Ou ils s’étaient tous levés comme un seul homme et étaient partis vers le nord pour rejoindre les forces du dragon de la jungle. Les preuves du contraire ne manquaient pas ; j’avais moi-même vu un Silencieux à Rata Sum peu de temps auparavant. Mais quelle approche devais-je adopter ? Devais-je me montrer amicale ? Ou plutôt grave et calme ?
« Qu’en penses-tu ? demandai-je à Momo. On va dire bonjour ? »
Momo roucoula, en se levant sur la pointe des pattes, comme elle le fait quand elle est contente de voir quelqu’un. Je me tournai vers la route, curieuse de voir ce qu’elle regardait.
La plus grande Sylvari que j’aie jamais vue marchait dans notre direction et semblait vouloir se rendre sur l’île. Elle était marron et verte, avec de longues fougères en guise de chevelure, et elle était aussi large qu’un arbre. « De la visite, » fit-elle en nous voyant. Elle passa tout près de Momo et moi et alla se placer entre nous et l’Ile pleureuse. Elle s’agenouilla au milieu du sentier, fit glisser à terre le sac qu’elle avait sur l’épaule, et commença à le déballer. « Des fruits ? Des outils ? Je peux tout vous vendre ici même, au bord de la route. »
Quelque chose dans sa voix me fit hésiter. Je ne ressentais aucun danger, et Momo émettait des gazouillis remplis de curiosité, mais son ton me rappelait les occasions où j’avais dû me présenter à l’improviste chez des chercheurs seniors. J’étais la bienvenue jusqu’à la porte, mais pas plus loin.
« Vous vivez ici ? » fis-je.
La Sylvari me lança un regard méfiant. « Des outils ? Si vous allez très loin, il vaut mieux vous préparer. Vous faites partie de la coterie ? »
« Je… Non, je n’ai pas de coterie. Quelle coterie, d’ailleurs ? »
« Là-bas, dit-elle en faisant un signe de la main en direction du Marché de Mabon. Ils ont dit qu’ils allaient faire des recherches sur l’Ile de Feu. Ça vous parle ? »
« Non, répondis-je, songeuse. Le seul endroit que cela m’évoque se trouve au sud. Loin au sud. Moi, je ne vais que dans la Vallée de la reine. »
La Sylvari déroula un épais tapis de roseau et étala des outils de récolte, des pommes rouges et une belle quantité de fruits de roncier, enveloppés dans une feuille. Les pommes attirèrent l’attention de Momo ; elle pencha la tête et pépia en direction de la marchande.
« Momo, on n’insiste pas. C’est mal d’insister, la grondai-je en fronçant les sourcils. Désolée, elle n’a pas l’habitude des inconnus. »
Momo émit un tout petit bruit d’oisillon affamé, absolument pathétique, et fourra son bec sous la main de la Sylvari. Celle-ci afficha une expression surprise, puis éclata de rire. « Elle m’a l’air d’avoir l’habitude des inconnus, en fait, dit-elle alors que les traits durs de son visage se faisaient plus doux. Vous et moi, par contre, beaucoup moins. Deiniol. »
Il me fallut un instant pour comprendre qu’elle venait de me donner son nom. « Je m’appelle Vikki. Et elle, c’est… »
« Momo, donc. » Deiniol la flatta, puis lui présenta une pomme. Momo n’en fit qu’une bouchée, à même la paume de sa main.
« Ça fera l’affaire ? » demandai-je en présentant une pièce.
« C’est gratuit, puisque c’est moi qui ai craqué. » Deiniol se passa les mains dans l’eau pour retirer le jus de pomme. « Qu’y a-t-il, dans la Vallée de la reine ? »
« Des experts en moas. Momo est malade… enfin, peut-être. Je n’en suis pas sûre. Il faut que je la fasse examiner. »
« Elle me semble en bonne santé. Il y a des moas roses dans les environs, mais je n’avais jamais vu de bec aussi impressionnant que le sien. »
Eh bien ! Voilà un sujet qui me parlait. « C’est parce que ce n’est pas vraiment un moa rose. Enfin, si, bien sûr, mais pas du point de vie de la taxinomie. C’est un moa noir présentant une dépigmentation. »
Quand j’évoquais ceci avec des enfants, ils se montraient soit très enthousiastes, mais uniquement à l’idée de jouer avec Momo, soit très vite lassés par toute cette histoire, mais Deiniol, elle, eut l’air impressionnée. « Où avez-vous trouvé un oiseau aussi magnifique ? »
« Oh. » Bien entendu, moi, je trouvais Momo magnifique, mais… « Personne d’autre ne voulait d’elle. »
« Vraiment ? Même avec une si jolie couleur ? »
Momo se lissa les plumes. Il m’arrive d’être convaincue qu’elle comprend la langue commune. « Les variations de pigmentation aviaires sont déjà bien étudiées, et elle est trop voyante pour un rôdeur digne de ce nom, » expliquai-je.
Deiniol me dévisagea intensément. « Pourquoi est-ce que vous, vous avez voulu d’elle ? »
« J’aime bien le rose. Et la première fois que je l’ai prise dans mes bras, elle s’est endormie tout contre moi. »
« Je vois, fit-elle avec un sourire. Alors je dirais que vous avez toutes les deux l’œil pour détecter la qualité. »
Je lui rendis son sourire, baissai la tête et parvins à marmonner quelque chose de poli. En fin de compte, j’achetai toutes les pommes de Deiniol… mais c’étaient d’excellentes pommes.